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Revoir Véronica

IMG_1726Nous sommes au milieu des années 80 et je vais parfois bruncher le dimanche chez Gérard Lauzier. Il y là un peu de tout : des gens de théâtre, des publicitaires, des célébrités du cinéma, des pique assiettes, des artistes, des amuseurs… Les hommes battent de l’aile et font semblant de ne pas faire la roue devant le grand bouquet de jolies filles aux longues tiges.

Les femmes sont des mannequins qui veulent faire l’actrice quand elles ne sont pas des comédiennes qui voudraient être aussi mannequins.

Parmi ces créatures, je remarque la démarche fluide et gracieuse d’une blonde évanescente qui semble délestée de toutes formes de lois terrestres. Elle se déplace en glissant un peu comme montée sur roulement à billes. De son visage au teint transparent ressortent deux yeux bleu glacier sans iris ni pupille. Aujourd’hui je dirais que le fabriquant de lentilles a exagéré la couleur et le style mais à l’époque je ne vois que l’étrangeté, le mystère et l’élégance racée d’une très belle femme.

Fascinée, je dois manquer de subtilité dans mon observation puisqu’elle s’approche de moi et me dit dans un accent de l’est en détachant chacune des syllabes : «Et vous quel est votre champ artistique ? A l’époque je vends de l’espace publicitaire, tu parles d’un champ artistique ! Alors que j’aurais dû lui dire un truc du genre : « je mate, chérie, dans trente ans j’en ferai un billet pour mon blog » je lui réponds « Je crois qu’on devrait se revoir ».

Nous nous sommes revues, et vues régulièrement pendant quelques années. Et puis par l’effet collatéral de nos changements matrimoniaux respectifs, nous nous sommes perdues de vue.

Entre temps, elle est devenue artiste, elle a exposé à Moscou, Paris, Genève. Elle aurait pu être une Annette Messager (en moins travaux manuels) ou une Sophie Calle (en plus gentille, ça c’est pas compliqué) mais un jour considérant son œuvre complète et aboutie, elle a cessé de cultiver son champ artistique.

Nous nous sommes ensuite aperçues brièvement une fois dans les tristes circonstances des funérailles de Gérard en 2008, jusqu’à ce 1 ier janvier 2015 où d’un appel masqué se sont détachées cinq syllabes : « C’est Véronica ». (Là l’hallu !)

La revoilà donc trente ans plus tard, toujours aussi gracieuse, naturelle, sans artifice (vous voyez ce que je veux dire) dans une vie heureuse qu’elle partage avec son mari, un anglais d’orient, géopoliticien, écrivain.

Ils vivent dans une demeure qu’elle appelle «maison» mais que la plupart des gens appelleraient «château».

Dans son grand manteau de soie rouge, elle glisse dans les allées.

Le Doux est enchanté.

Je crois qu’on devrait se revoir.

Happy Quinqua, c'est moi !

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